Antigone selon Pascal Olive

ANTIGONE I

Dans la France de la Libération, en août 1944, 2 frères s’entretuent sur les marches de l’Hôtel de ville d’Orléans, Etéocle gaulliste et Polynice pétainiste. Leur soeur, Antigone, reproche à son oncle Créon, maire d’Orléans, de ne vouloir honorer que la mémoire d’Etéocle. Son entourage familial bienveillant – son fiancé Hémon, sa petite soeur Ismène, sa belle-mère Eurydice, et même Créon pourtant sous la pression des FFI – multipliera les tentatives afin qu’elle échappe à son funeste sort. 

Pour Antigone, depuis Sophocle, tout est écrit d’avance : son obstination la conduira inexorablement au pire pour cette époque. 

Extraits de la pièce

Scène 2 : Créon, Antigone

CRÉON

Voilà donc le cercueil lentement qui avance,

Avec le drapeau bleu, blanc, rouge de la France

Le bleu c’est pour le Ciel qu’il a rejoint déjà ;

Le blanc pour le héros qui est mort au combat ;

Le sang qu’il a donné, c’est cette couleur rouge ;

Le drapeau au fronton c’est son âme qui bouge !

Voilà donc Étéocle, héros de la cité !

L’Ennemi, le voyant, frappé de cécité,

Ne peut que succomber devant tant de courage !

Sans doute l’Ennemi… Pas le frère, j’enrage,

Dont il ne se méfie !… C’est un tir fraternel

Qui le rend à jamais dans nos cœurs, éternel !

Sur cette place, ici, c’est un vibrant hommage

Que les Orléanais rendent à son courage !

Il a donné sa vie pour qu’on reste vivant,

Libéré de la nuit noire de l’occupant !

ANTIGONE

Il a donné sa vie, prenant celle d’un frère !

Vous comprendrez pourquoi mon cœur et ma prière

S’en vont, bien malgré moi, vers Polynice aussi !

Oh, pardon, je l’ai dit le nom ! En plus, ici !

Polynice, ah vraiment, c’est un comble, vous dis-je,

Je l’ai dit devant vous, vous donnant le vertige !

Combien de fois dois-je le dire enfin… Ce nom…

Polynice ! Est-ce assez… Oh non, mille fois non !…

Vous l’avez bien connu… Oui, restez bouche bée !

Et ses idées, parfois, ont été répétées…

Dans la bouche… de vous… oui vous, la tête basse…

Et vous encore, et vous, dont la tête dépasse

Derrière la petite dame en tailleur bleu !

Vous le connaissiez tous, certains l’aimaient un peu !

Comprenez, je ne peux louer l’un, âme fière,

Sans louer l’autre aussi de la même manière !

Souffrez que je puisse voir, sans désobéir,

Étéocle en héros, Polynice en martyr !

CRÉON

C’est assez, Antigone, il faut qu’on vous oblige

À fermer votre bec… Et, qu’ici, on érige

Pour vous, dès ce soir, un lieu d’exécution.

Et je cède à la mode, l’épuration !

Vous savez ce que c’est… Il faut vous rendre pure…

Cela commencera par votre chevelure…

Je vous condamne moi, le maire d’Orléans

À vous faire raser devant nos habitants !

Toute seule devant des citoyens honnêtes !

Vous voyez, je suis bon, ne coupe pas les têtes !

Et vous n’en mourrez point d’être tondue tantôt,

Là… sur la place… et nue ! Mais voilà, il le faut…


Article de Jean-Luc Jenner au sujet de la pièce : Antigon face aux épurateurs


ANTIGONE II

L’histoire

Dix-huit ans après avoir été tondue à Orléans en août 1944, on retrouve Antigone à Paris.

Elle se fait appeler Anémone et donne des cours de théâtre. En septembre 1961, elle fait la rencontre d’un jeune étudiant, Julien – qui rêve, lui, de devenir comédien – dont elle tombe rapidement amoureuse en raison de sa ressemblance avec son frère Polynice. Elle ignore que Julien est le fils de sa sœur Ismène et membre de l’OAS. De son côté, Antigone, membre du Parti Communiste Français, héberge chez elle un vieil algérien, monsieur Ali, représentant du FLN en France
recherché par la police…
Tout est réuni pour que la destinée tragique d’Antigone s’accomplisse.

Extraits de la pièce

Acte II Scène 5 : Ali, Antigone

ANTIGONE
Ainsi, Monsieur Marcel, ma voisine, du premier,
La veuve de ce bon Monsieur Fernand, le crémier,
Que nous regrettons tous, oui, Madame Jeanne en pince
Assurément pour vous ! Cinquante ans et taille mince !
Elle n’a que votre nom à la bouche ; elle m’a dit
Que vous l’avez invitée à dîner ce jeudi…
Vous juriez n’avoir d’amour que pour votre Algérie !
ALI
C’est, Antigone, parce que la guerre est bientôt finie !
C’est vrai qu’elle me plaît beaucoup et…j’ai beaucoup donné
Pour mon pays…je pourrai bientôt bénéficié
Du repos du guerrier, peut-être…C’est que De Gaulle,
En cinquante-huit, déjà, entre les vieux peuples de Gaule,
Et notre jeune peuple algérien, avait, proposé…
Offert même, la Paix des Braves ! Pas vers nous refusé !
C’est bien trop tôt pour nous, à l’époque, on décline !
Mais le temps est venu maintenant : la France s’incline
Désormais devant la Résistance du F.L.N !
Ils en font une tête, les Massu, Bigeard, Le Pen !
Cette fois, c’en est bien fini de l’Algérie française !
Cent trente ans d’occupation ! Chantez la Marseillaise,
Amis français, vous communistes, contre les bonnes gens,
Vous, les appelés, qui étiez, hélas, nos allemands !
Ne vous y trompez pas ! Mais il y aura la revanche
Sur votre Paris sur Seine de notre Alger la blanche !
Un jour, j’épouserai, un jour Jeanne la parisienne
Et nous aurons un jour, demain, notre France algérienne !
Je ne sais si je le verrai de mes yeux dans vingt ans,
Trente ans, d’ici la fin de ce siècle, ou, les cheveux blancs
De mes enfants dans le siècle d’après, mais, forts et fiers
Nous vous ferons oublier notre défaite à Poitiers !
ANTIGONE
Je ne peux accepter ces mots, Ali, ça me gêne !
ALI
Ni moi, un Etat de droit qui tolère la gégène !
Nous n’avons jamais été, sous toutes vos républiques,
Des citoyens ! Alors que même vos femmes publiques
Pouvaient voter comme les autres ! Seul le P.C.F
A défendu nos droits, et il y en avait bezef !
ANTIGONE
C’est pour cela, uniquement, que j’ai pris ma carte !
ALI
Je le sais, Antigone, mais il fallait que ça parte !
Mon discours ne s’adressait pas à toi, excuse-moi,
Je me suis emballé tout seul ! Ce n’est pas contre toi…
Bien que ta confidence sur ton frère, Polynice,
M’a gêné, moi aussi…Peut-on parler de sacrifice
Pour ce frère…Pour moi, chez nous, il eût été harki !
Et moi, là-bas, c’est moi, bien sûr, qui suis le F.F.I !

Quelques extraits en vidéo :

Note d’intention de l’auteur

L’Algérie ?
Pourquoi aujourd’hui encore en parler ? Parce que c’est, quand même, enfin, peut-être le moment, plus de soixante ans après la fin de cette guerre – tue en tant que telle – dont on ne prononçait jamais le mot, qu’on dissimulait derrière ces soi-disant évènements, qu’on eût pu, pourquoi pas, qualifier de simples faits divers, de ne plus se voiler la face, de regarder plutôt en face cet épisode tragique de cette Histoire de France qui n’aurait jamais dû être la nôtre ! Alors, oui, l’art, le théâtre est un des moyens d’y accéder et l’auteur que je suis, à travers le personnage tragique de mon Antigone, qui a sa carte du Parti Communiste Français, peut nous permettre d’y parvenir ! Alors, oui, Antigone II grossit le trait ; c’est la tragédie d’une femme
amoureuse dans la Tragédie des peuples des deux rives de la Méditerranée. S’il est des causes qui sont justes, celle de la décolonisation et de la
Libération du Peuple algérien en fut une ; et le Parti Communiste Français a porté, presque seul, cette cause pourtant universelle.
Alors, oui, c’est vrai, les compagnons de la Libération, dans leur grande majorité, ne furent pas les camarades de la libération du Peuple algérien !
Alors, oui, c’est vrai, à la sortie de la Seconde Guerre Mondiale, après quatre années d’occupation nazie, pendant laquelle l’Etat Français de Philippe
Pétain, ayant pris les pleins pouvoirs avec toutes les voix des députés de l’Assemblée Nationale, hormis celles, encore une fois, du Parti Communiste
Français, continuait d’occuper l’Algérie, l’A.O.F et l’A.E.F, il eût été bon, en conscience, d’abandonner notre Empire Colonial, de plier bagage et de
rendre les armes ! Après l’Etat fasciste du Maréchal – occupé et occupant, en pleine schizophrénie collective – , la Nouvelle République n’en fit rien, bien au contraire !
Regarder l’Histoire en face, regarder l’Autre en face, voilà ce qui anime mon Antigone II. Je veux, avec ma pauvre Antigone, désespérée et désespérante, mettre la pierre à l’édifice de la construction d’une vraie amitié franco-algérienne, tant au sommet des deux Etats, qu’entre, bien sûr, mais surtout, nos deux peuples.
Car enfin, parlons franc, comment se fait-il que l’amitié franco-allemande existe, après le Nazisme et la Shoah, alors qu’elle ne pourrait exister entre l’Algérie et la France ? Il ne suffit pas de mettre de la bonne volonté et de faire je ne sais combien de propositions pour y arriver. Non, il faut beaucoup plus. Enormément plus !
L’Allemagne a dit à la France : « Les salauds, c’étaient nous ! » Aujourd’hui, la France devrait dire à l’Algérie : « Les salauds, c’étaient
nous ! » ANTIGONE II, à travers son héroïne, rend hommage au Parti Communiste Français, ainsi qu’à la C.G.T, et salue la mémoire de ses
militantes et militants, victimes des violences policières, à la station de métro Charonne le 8 février 1962.
Le Préfet de Police de Paris s’appelait Maurice Papon. Le Ministre de l’Intérieur s’appelait Roger Frey. Le Premier ministre s’appelait Michel Debré. Le Président de la République s’appelait Charles de Gaulle. Lors des représentations de ma pièce, les noms des victimes et des responsables seront nommés. On écoutera, debout ou non, poing levé ou non, en chantant ou non L’Internationale et Qasaman, l’hymne national algérien.

Représentations

2023-2024 : 10 représentations au Mélo d’Amélie